Vieillir, est-ce arrêter d’avoir une sexualité ?

Vieillir, est-ce arrêter d’avoir une sexualité ?

Interview du Dr Damien MASCRET, sexologue.
Fevrier 2025

Dr Mascret

 

 

1. Pourquoi la sexualité des personnes âgées reste-t-elle un tabou ? Est-ce une question de société, d’éducation ou même une autocensure chez les seniors eux-mêmes ?

 

Un peu de tout cela. Beaucoup considèrent que le sexe est légitime quand on est jeune et en bonne santé, mais qu’il l’est moins quand on est un « vieux » couple bien installé dans la vie. Ils s’appuient sur les couples ou les personnes seules qui n’éprouvent plus de désir sexuel tout en étant heureux, pour affirmer que le bonheur est dans le renoncement au sexe.

C’est oublier un peu vite tous ceux qui continuent d’être actifs sexuellement en solo ou non et qui sont, eux aussi, parfaitement heureux.

La réalité, c'est que la sexualité des seniors manque de représentations dans l’imaginaire collectif, par exemple au cinéma ou à la télé, ce qui reflète bien la gène éprouvée ou la crainte plus fondamentale du vieillissement. On voit bien des scènes de sexe entre adultes ou des crimes sanguinaires et dégoulinant de sang… Mais du sexe entre vieux, quelle horreur !

Heureusement de plus en plus de stars âgées n’hésitent plus à afficher publiquement leur envie de sexe, même à leur âge. Il faut rappeler que la santé sexuelle fait partie de la santé globale, à tout âge.

 

2. Beaucoup de personnes âgées se demandent si leur désir est « normal » ou s’il est censé s’éteindre avec le temps. Que leur répond-on ?

 

Je donne souvent à mes patients.es cette image (qui n’est pas une statistique) : « Après 50 ans, un tiers des gens ont un désir qui s’émousse, un tiers un désir qui reste constant et un tiers un désir qui s’accroît. À quel tiers voulez-vous appartenir ? »

Car en matière de sexualité, il faut prendre l’initiative. Si on reste passif, il y a de fortes chances d’aller vers la première catégorie. En revanche, si on prend les choses en mains (et ce n’est pas qu’une expression !), on peut très bien rester dans le 2ᵉ ou le 3ᵉ tiers.

Après 50 ans, la moitié des femmes et les trois quarts des hommes restent actifs sexuellement (une différence en partie expliquée par le fait que davantage de femmes se retrouvent seules) selon les premiers résultats de l’enquête Contexte des sexualités en France (CSF-2023 Inserm-ANRS-MIE) (1) qui a été dévoilée en novembre 2024.

L’enquête porte sur plus de 31 000 personnes, un échantillon représentatif de la population française âgée de 15 à 89 ans. C’est intéressant de noter que cette fois l’enquête va jusqu’à 89 ans, car la précédente, en 2006, s’arrêtait à 69 ans. Les temps changent, et les chercheurs et sociologues qui conçoivent ce type d’enquête le savent bien.

 

3. On parle beaucoup de masturbation chez les jeunes, mais très peu chez les seniors. A-t-on une idée du nombre de personnes âgées qui se masturbent ?

 

On ne connaît pas encore ces résultats spécifiques de l’enquête Contexte des sexualités en France précitée, mais il y a une dizaine d’années, l’étude ELSA (2), l’équivalent anglais de notre étude française, montrait que la pratique de la masturbation était fréquente (au moins 2 fois par mois dans la définition des chercheurs anglais) pour 41% des hommes sexagénaires (13% des femmes), 30% des hommes septuagénaires (9% des femmes) et 16% des hommes de 80 ans et plus (7% des femmes).

Je gage que les chiffres vont augmenter, car n’oublions pas que la génération qui arrive désormais à ces âges a connu la révolution sexuelle et au-delà, évoluent dans un bain socioculturel qui pourrait bien être de plus en plus ouvert à la représentation et l'expression de la sexualité des seniors.

 

4. Comment les changements hormonaux, physiologiques et psychologiques influencent-ils les envies et les pratiques sexuelles ?

 

Il serait absurde de nier que le vieillissement a un retentissement sur le corps et l’esprit, en particulier lorsque les changements sont brutaux. Par exemple au décours d’une maladie, de la ménopause, d’un traumatisme, d’une séparation ou d’un changement de vie. Une enquête nationale américaine publiée en 2007 (3) montrait ainsi que ceux qui avaient des problèmes de santé avaient plus de risque d’être moins actifs sexuellement que les autres.

Toutefois, si on décide de prendre le taureau par les cornes, il existe des solutions pour avoir une sexualité épanouissante, malgré tout. L’étude confirmait que les difficultés de santé n'empêchaient pas de trouver des modes de sexualité satisfaisantes pour une majorité des individus concernés.

Certes, avec l’âge, l’érection comme la lubrification sont souvent moins constantes, moins fiables, parfois absentes. Mais on peut utiliser des médicaments de l’érection, des traitements de la ménopause (en l’absence de contre-indications) et des lubrifiants, ou tout simplement avoir des pratiques sexuelles adaptées : masturbation réciproque ou conjointe (ou de l’un des deux seulement, la réciprocité n’est pas une obligation), baisers, caresses, sexualité orale, utilisation de sextoys.

Tout est permis, tout est possible quand on a la chance d’être avec un.e partenaire de confiance et ouvert.e.

 

5. Quels sont les principaux freins à une vie sexuelle épanouie après 60 ans ? Douleurs, fatigue, baisse de libido, regard de l’autre… Quels sont les obstacles les plus courants ?

 

D’abord, on est mal parti si on croit toujours que le sexe est une performance à réaliser. Il faut aussi rappeler que le consentement au sexe doit notamment être libre (de toute pression), clair, continu (on peut arrêter à tout moment) et enthousiaste.

Plus fondamentalement, le manque de souplesse d’esprit, d’ouverture à la nouveauté, d’envie de faire plaisir et de se faire plaisir, sont des freins à l’épanouissement sexuel. Si vous pensez conserver toute votre vie le même type de sexualité avec votre partenaire, en croyant avoir trouvé la formule magique qui marche pour vous deux, cela revient à dire que vous allez consommer le même menu à chaque repas. Une sacrée perspective !

Il existe pourtant des milliers de petites variations qui peuvent rendre la préparation des rencontres sexuelles excitantes, amusantes, enthousiasmantes, tendres ou animales… Le sexe n’est ennuyeux que lorsqu’on est paresseux. Il faut s’interroger sur ses goûts, ses dégoûts, ses envies, échanger dans la bienveillance et sans jugement avec son ou sa partenaire. Je ne jette la pierre à personne. C’est notre cerveau qui nous pousse à l’économie. La force de l’habitude, ce principe de base de l’économie pour notre énergie, est le plus redoutable des extincteurs du désir. Il faut lutter contre notre tendance à faire toujours la même chose, au même moment, de la même façon, parce que… ça marche.

Depuis que les sexologues s’intéressent à la qualité de l’orgasme (tous ne se valent pas), on se rend compte que l’excitation est toute aussi importante. L’envie et le désir précèdent l’acte. Il ne s’agit évidemment pas de se forcer.

On a, par exemple, longtemps cru que la sentence anglo-saxonne « use it or lose it » (utilise-le ou perds-le) s’appliquait au vagin. En réalité, la théorie largement répandue selon laquelle, après la ménopause, le meilleur moyen de ne pas avoir de douleurs lors de la pénétration (dyspareunie) est d’avoir régulièrement des rapports sexuels avec pénétration, n’est pas confirmée par une grande étude américaine (4) qui interroge régulièrement plus de 2200 femmes depuis 1995.

En revanche, l’apparition de douleurs vaginales conduit à réduire la fréquence des rapports sexuels. Il ne faut pas confondre la poule et l’œuf. Des solutions existent, parlez-en à votre médecin ou votre pharmacien, si la pénétration est importante pour vous.

 

6. Les patients osent-ils parler spontanément de leur sexualité ou est-ce un sujet encore trop sensible ? Quels sont les besoins et questions les plus fréquentes, mais aussi les plus cachées en consultation ?

 

C’est évidemment un sujet qui reste tabou pour beaucoup de gens. C’est bien dommage, car la fonction sexuelle, en dépit de ses particularités (on touche à l’intime, à la peur du jugement, à la fragilité humaine d’où la nécessité, pour les soignants, d’être ouvert, bienveillant et empathique sans projeter ses propres opinions), est une fonction qui peut être diagnostiquée et prise en charge comme d’autres fonctions du corps et de l’esprit.

La question la plus fréquente est la baisse du désir. C’est un problème qui semble insoluble à première vue, mais quand on décortique les mécanismes du désir, on trouve généralement l’explication et les solutions. Il ne faut pas hésiter à consulter et j’ai écrit un livre sur le sujet pour aider celles et ceux qui n’osent pas franchir la porte du cabinet d’un.e sexologue ou d’un.e sexothérapeute (5).

 

7. Comment un médecin peut-il repérer un besoin sexuel caché ? Y a-t-il des signes, des phrases, des comportements qui permettent d’aborder le sujet avec bienveillance ?

 

Je pense vraiment qu’il faut banaliser la santé sexuelle et poser la question systématiquement à tout patient, quel que soit son âge ou sa situation : « Rencontrez-vous des difficultés dans votre sexualité et souhaitez-vous en parler ? ».

Si on n’est pas formé soi-même, et qu’on a peur de se trouver en difficulté, on peut ajouter « Je pourrais vous donner le nom d’un spécialiste si vous le voulez ».

Le simple fait d’avoir ouvert la porte à cette question montre qu’elle est légitime. Sinon, on peut passer à côté d’une souffrance sans le savoir. Ce serait dommage et triste à la fois.

 

  1. https://presse.inserm.fr/wp-content/uploads/2024/11/rapp_CSF_web.pdf

  2. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25624001/

  3. https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa067423

  4. https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC9199592/

  5. https://editionsdufaubourg.fr/livre/le-cycle-du-desir

 

 

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